Glacis et art thérapie

Indigo 1En principe, toute forme d’art est thérapeutique. Qu’elle libère, dérange, bouscule, fasse réfléchir, fasse prendre du recul ou, simplement, fasse du bien. Dés lors, n’y a t-il pas redondance à parler d’art thérapie? Pour ma part, je n’associe ces deux mots qu’avec une grande réserve tant j’ai vu l’Art galvaudé par des psy qui le confondaient gaillardement avec du travail manuel ou un atelier digne de l’école maternelle.  Il a fallu toute la conviction et la rigueur de la démarche d’Alain Héril, psychanalyste et fondateur d’Indigo-formations, pour que j’envisage avec plaisir de co-animer un séminaire sur le sujet en sa compagnie. 20 participants sur 3 jours et l’occasion de faire vivre le glacis dans toutes ses dimensions.

Une démarche à l’opposé d’un séminaire entreprise

Indigo 2En entreprise je veille scrupuleusement à ce que le glacis ne provoque pas de remise en cause individuelle. Si l’on aborde les émotions, c’est toujours au service de l’intelligence collective et pour l’enrichissement du groupe à partir de l’apparente hétérogénéité des membres qui le composent. Je veille à ce que le groupe ait une prise de recul intéressante sur ses pratiques sans mettre sur la sellette aucun de ceux qui le composent. Je ne m’adresse aux individus que sur l’angle du groupe auquel ils appartiennent et je travaille au plaisir de se découvrir intelligents ensemble pour résoudre n’importe quel problème pratique.

Ici, la démarche est inverse :  l’art thérapie a été l’occasion exigeante d’aller chercher en soi ce qui pourrait bloquer un processus créatif, de se voir réagir à chaque étape et d’en prendre la mesure, mais aussi de savoir s’appuyer sur son inconscient pour engager ce processus. Dans le but de guérir (soi, l’autre), mieux se comprendre, ou bien plus simplement et ambitieusement, goûter la vie en continuant, comme le dit Jean-François Vézina, à « danser avec le chaos » (soit avec ce que l’on ne contrôle-maîtrise pas). Sous cet angle, le Glacis est un maître.

Indigo : un positionnement particulier

Indigo 3Outre qu’Indigo-formations se veut un organisme de formation intégratiste (toutes les approches thérapeutiques, ou presque, y sont validées et invitées à s’enrichir les unes des autres), les séminaires proposés par Alain Héril et son équipe tendent à s’appuyer sur 3 axes qui ne peuvent que faire échos à ma pratique de peintre accompagnant d’autres peintres. Il s’agit, dans un premier temps, de proposer un nouvel outil (une nouvelle technique) pour enrichir la palette déjà existante des participants. Mais il s’agit aussi de les encourager, en visitant cet outil à l’aulne de leur propre vécu, à en voir le véritable potentiel (bien plus philosophique dans le cas du glacis que purement technique). Enfin, et je dirai presque surtout, Indigo propose à ses interlocuteurs de se ressourcer par la même occasion. Mot qui ne va pas sans provoquer quelques facétieux malentendus .

Se ressourcer?

Blan 2Retour le second jour d’une très charmante Armelle s’étonnant d’une fatigue et d’un brin de colère en se couchant la veille au soir. L’impression d’être très loin du doux ressourcement attendu. Ils avaient, en effet, engagé le premier jour, chacun, deux lâcher-prises sur kraft, sans bien savoir où cela allait les mener et, en contradiction parfois, avec l’idée qu’ils se faisaient de l’élaboration d’un tableau. Situation inconfortable et pourtant très similaire à ce quoi la vie nous confronte. Mise en évidence de tous les jugements de valeur, de nos aspirations à être surs, avant qu’elle n’ait lieu, qu’une chose en vaut la peine, à vouloir faire le mieux possible pour avoir le moins de mauvaises surprises. Et donc, à prendre le formateur comme modèle et à se comparer aux autres… Très fatiguant, assurément. Exaspérant aussi, pour certains.

Avant que l’œuvre n’apparaisse et apporte son comptant de plaisir et d’informations sur l’artiste et ses relations avec son inconscient, il y a donc des étapes douloureuses. Paradoxalement, c’est justement là que se joue le ressourcement. L’idée étant de revenir à sa source, à l’origine d’une croyance, d’une façon d’entendre et de comprendre ce qui est dit, de refaire, involontairement et précisément, comme on a toujours cru qu’il fallait faire. Se ressourcer : c’est un sacré (le mot n’a ici rien d’innocent) boulot!

Reste que durant ces 3 jours, une vague de solidarité, d’élan et d’empathie nous a porté, les uns les autres, autant que les uns avec les autres. Et j’ai été émerveillée autant qu’eux de l’extraordinaire coopération du glacis pour se mettre à leur écoute. Quitte à rester un peu sidérée aussi… Mais à ce propos, je garderai le mystère. Voyez avec Indigo-formations, dont le site, justement, est illustrée par une Grande Dame du Glacis : Yahne Le Toumelin.

Par respect pour les participants, les photos illustrant cet article sont mes réalisations personnelles, qui seront exposées à partir du 24 mars 2015 à la Galerie Elzévir-Paris, en compagnie des teintures sur soie de mon amie Ursula K, jusqu’au 5 avril.

 

 

 

 

Glacis, pensée magique et travail en négatif

Arbre à fritesJe ne sais plus quelle introduction à un recueil de contes de fées parlait d’un petit garçon qui, amateur de frites, en avait planté une dans son jardin dans l’espoir qu’un arbre à frites viendrait à pousser. Ne souriez pas, je suis persuadée que, tout adultes, sages et pleins d’expériences que nous sommes, pas un d’entre nous n’échappe à croire cela possible à un moment où un autre. Au delà de la touchante naïveté, de la poésie aussi, ainsi révélées comment véritablement utiliser cette force de l’intention pour d’une envie enfantine faire une œuvre? L’atelier me semble, justement, le lieu idéal de transformation, de maturation, de la pensée magique. Mais pas à n’importe quelle condition et certainement pas n’importe comment.

Le champ de blé

Les glaneuses - MilletL’année dernière je me suis rendue régulièrement dans l’atelier d’une femme brillante travaillant sur de très grands formats. Outre son travail de peintre, elle avait un poste à très hautes responsabilités et menait formidablement de front les exigences de son énergie créatrice et ses engagements professionnels. Quand bien même, les deux terrains semblaient très dissemblables. Comme beaucoup d’entre nous, la peinture lui était, je crois, une soupape de sécurité pour éviter que la rationalité normative du monde professionnel ne l’engouffre, elle, et surtout, cette petite fille en elle qui voulait voir pousser son arbre à frites. A l’occasion d’un de ces rendez-vous, elle sortit d’anciennes toiles dans l’idée de les recycler et me demandait si je pensais, compte tenu de l’épaisseur de la couche picturale, cela possible. A ma grande surprise, je découvrais sur l’une d’entre elles des grains de blé collés, agglomérés dans une pâte picturale à l’acrylique. D’autres tableaux avaient des bouts de laine, des morceaux de tissus, des petits objets associés à la couche picturale. Si bien que la peinture servait à la fois de couleur et de colle. Comme la raison pour laquelle nous avions engagé un travail ensemble était son désir de transparence, loin de vouloir « corriger » son travail, j’en cherchais les motivations. Pourquoi avoir coller des grains de blé? Et alors, derrière la femme mature, très pro, très efficace, très organisée, la petite fille avec son arbre à frites a répondu : « parce que je voulais faire un champs de blé ». J’en restais émerveillée.

Magie et travail en négatif

Palette arc-en-cielSauf que malgré le blé planté dans la couche pictural, à son grand désespoir, le champ n’avait pas poussé. Et que derrière ce constat, une montagne de frustration, une souffrance à peine avouable, risquait de faire jaillir un torrent de larmes. Pas de champ de blé : malgré tout son amour, son élan généreux et son désir immense. Le peintre est un sorcier. Il possède les recettes magiques pour faire d’un désir un objet qui existe : le tableau. Mais l’apprentissage de cette sorcellerie connait bien des embuches. Le glacis, potion magique par excellence, bien qu’il ne soit pas l’unique solution à cette intéressante recherche, propose de formidables pistes. Car, outre sa marge accidentelle, qui nous oblige au delà de notre volonté à voir véritablement ce qui se cache sous nos désirs, il permet le travail en négatif. Le travail en négatif, c’est l’art de peindre sans peinture. Certaines brosses ne trempent d’ailleurs jamais leurs poils dans le glacis ou dans la palette (voir l’article sur le blaireau pour ceux que ce paradoxe intrigue). Ce travail sans peinture n’existe, à ma connaissance, pas ou très peu dans d’autres techniques. La plupart d’entre nous avons donc coutume d’appréhender la peinture en « mettant de la couleur ». La couleur étant alors l’équivalent d’un objet extérieur à soi, qui nous plait, et que nous prenons et utilisons pour fabriquer un objet qui nous ressemblerait. Comme on ferait une recette de cuisine avec des ingrédients. Comme on s’habille pour être plus beau. Comme on va au supermarché acheter ce qui nous manque.

Ne peuvent germer sur un tableau que les grains de blé qui sont en nous. Tout comme l’objet « grain de blé », sa couleur est un leurre. Aucun des deux ne feront un tableau. Telle n’est pas leur fonction. Ils appartiennent au monde tangible, et s’ils peuvent inspirer le monde à venir, ils ne lui appartiennent pas. Le piège ici est de confondre les registres et de croire qu’avec l’objet on change le monde, quand c’est l’intention qui fait ce travail. Le tube ne fait pas le peintre. C’est la conscience de tout ce qui est déjà en soi, si merveilleusement mur pour faire un nouveau monde, qui fait de l’acte magique une acte concret.

image d’introduction prise sur le site : http://fr.belgourmet.be/frites/arbre_a_frites.php
image de sorcier : http://sites79.ac-poitiers.fr/ardin/spip.php?article352

Bertrand Vergely et le glacis

Dos d'un cadre (haut)J’étais mercredi soir dernier à Paris pour écouter une conférence donnée par Bertrand Vergely sur « La Vie comme Chef d’œuvre ». Bertand Vergely est un philosophe, professeur à Normale Supérieure, qui transmet la philosophie avec passion et générosité dans notre société qui a encore, trop souvent, tendance à en oublier la ressource. Il ne s’agit pas ici de reprendre l’intégralité de la conférence, mais bien de rebondir sur certaines des idées développées et de les partager avec vous.

L’incroyable matérialité de l’œuvre

MagritteIl y a une chose assez étonnante à bien y réfléchir lorsque l’on envisage l’objet tableau. Un châssis, une toile, une couche picturale. Un objet très concret, totalement ancré dans la matérialité, au même titre que tous les objets dont on s’entoure pour constituer notre environnement. Le tableau est aussi concret qu’un fer à repasser, une louche, un pot de confiture… Et pourtant ce qu’il illustre relève du domaine de tous les possibles. Rien, absolument rien, ne limite les possibilités représentatives d’une couche picturale. Ce qui existe autant que ce qui n’existe pas y trouve pareillement leur expression. Et, parce que c’est posé, là, sur cette toile : ça existe. Une histoire folle en quelque sorte : ce que le tableau représente existe par la matérialité du tableau. Certes, on n’en fera pas usage comme de n’importe quel autre objet mais ça n’est déjà plus irréel puisque c’est représenté. Voilà certainement pourquoi faire un tableau relève certainement plus, de mon point de vue, d’un acte symbolique que d’une quelconque technicité.

Le tableau et son cadre

Dos d'un cadre (bas)Pour en revenir à la conférence de Bertrand Vergely, il existe une dimension du tableau à laquelle je n’avais, pour ma part, jamais réfléchi et qu’il a magistralement exprimé. C’est l’idée qu’un tableau est, non seulement le fruit du travail d’un peintre avec sa toile, ses pinceaux, les motifs qu’il représente mais aussi, et incroyablement, c’est un cadre. Et ce cadre marque la fin du tableau, sa limite dans l’espace. » C’est parce que ce tableau est limité qu’on peut le voir. C’est parce qu’un concerto ne dure pas des mois qu’on peut l’entendre. C’est parce qu’un roman ne fait pas des millions de pages qu’on peut le lire. » Cette expérience de la fin, de l’arrêt de l’œuvre porte en elle l’expérience même de la vie et la justification de la mort. La vie est une œuvre d’art parce qu’elle s’achève. Intuitivement, et j’en parlais d’ailleurs dans mon dernier article sur le glacis en unité de soins palliatifs, j’ai toujours su qu’il y avait dans l’atelier une grande réflexion sur l’art de vivre dans le savoir mourir. Mais je suis enchantée (et le mot n’est pas trop fort) d’avoir compris grâce à Monsieur Vergely en quoi exactement et pourquoi.

Partir en mourant

Partir en mourantPour finir cet article (qui sans cela ne pourrait pas être lu), il y a dans les gestes du glacis, un geste pictural très particulier et qui, parfois fait tiquer mes visiteurs : on « part en mourant ». On va avec son pinceau jusqu’au bout de la couleur sur la toile. Et, mais encore faut-il en faire l’expérience pour le comprendre, c’est par la grâce de ce geste que toutes les couleurs sont compatibles entre elles, que le tableau se nuance et propose des respirations à l’œil. Bref, que le tableau respire. Le glacis n’est pas une technique picturale. Le glacis est de la philosophie. « sourire » et Fin !

Le Glacis en Unité de Soins Palliatifs

UnitéContactée par une unité de soins palliatifs (un service hospitalier destiné à accompagner les personnes en fin de vie) tout nouvellement ouverte, pour y exposer, j’ai été amenée à réfléchir sur l’ « accès à la culture » dans un lieu qui n’a pas été conçu pour, mais aussi sur ce que l’on peut exposer (et surtout ne pas exposer) dans un lieu aussi particulier.

Une prise de position.

Unité 2Au risque d’en heurter certains, et comme un cri du cœur, je ne suis absolument pas pour que l’Art s’expose n’importe où. Les halls de gare, couloirs de métro, angles de rue, bords d’autoroute et autres gymnases, s’ils sont conçus pour accueillir beaucoup de monde ne sont pas des lieux de contemplation, de silence, d’écoute de soi et de l’autre. Ils sont essentiellement pratiques, destinés à gérer le mouvement, le déplacement, le manque de temps très souvent aussi. C’est tailler dans la masse en espérant y provoquer une pépite de conscience individuelle. Sous prétexte de « démocratiser l’accès à la Culture« , le plus souvent, on y galvaude l’Art en le mettant en concurrence avec les images et le bruit urbains, affiches publicitaires, signalisations routières, bruit assourdissant des autos ou des haut-parleurs. Peut-on vraiment gouter dans de telles conditions le silencieux et fragile message d’une peinture, d’une sculpture ou d’un morceau de musique magistralement interprété? De mon point de vue, c’est réduire la fonction sociale de l’Art à de la décoration, de la création d’ambiances, du divertissement. C’est au Lieu de s’adapter à l’Art et non à l’Art de s’adapter au Lieu. Prévu pour exposer l’Art dés son origine ou temporairement, c’est au Lieu de mettre en condition celui qui y passe pour le nourrir de ce qui s’y trouve. Et au visiteur de décider de sa disponibilité pour que la rencontre se fasse, pour que l’essentiel passe, et que, inspiré ou pas, il puisse poursuivre son chemin.

Exposer dans une unité de soins palliatifs

Unité 4Contrairement au hall d’une gare, l’unité de soins palliatif, est un lieu où on ne court pas. En le visitant une première fois, j’ai eu le plaisir de le découvrir lumineux et calme, couleurs chaudes et douces, un piano (malheureusement silencieux) trônant au milieu. Un lieu paradoxale puisqu’il est exclusivement occupé par des vivants (patients, famille et amis, soignants) qui ont en commun la conscience de la mort, sans, étonnement, que cette dernière soit formulée, ou même formulable. Un tabou le hante. Plus que partout ailleurs, on n’en parle pas de la mort. On y fait le moins possible allusion. Toutes les chambres ont un nom d’arbre mais « chêne » ou « sapin » sont proscrits. Un lieu de passage, et quel passage!, qui voudrait bien le faire oublier. Passage si bouleversant, interrogeant, dérangeant, que tout le monde n’est pas forcément en paix avec sa proximité. Un lieu donc il faut faire attention aux mots, aux sons, aux lumières, aux voix et… aux images aussi bien sur.

Qu’y exposer? Et pourquoi?

Unité 1A écouter les avis des uns et des autres, des paysages « bien peints » – coquelicots, champs de lavande -, des animaux – chatons, chevaux cavalant au grand air -, semblaient tout indiqués. Comme dans un hôtel de province. Images qui ne dérangent pas, insipides et sans saveur, avec de « jolies » couleurs. Confirmation supplémentaire, s’il en fallait, de l’utilisation habituelle de l’Art pour « faire joli », pour aider, en quelque sorte, à faire « passer la pilule ». C’est prendre ceux qui viennent dans ce lieu en mauvaise estime que de leur offrir, pour accompagner ce moment véritablement extraordinaire de leur vie, des images aseptisées d’une désolante insipidité. Et c’est aussi confondre l’artiste avec un fabricant de « belles images », une machine à camoufler ce qui dérange. C’eut été nier, surtout, toute la pertinence d’une démarche artistique dans un tel lieu, en ce qu’il ne diffère pas tant que ça de l’atelier. Ils sont de ces lieux où l’on interroge, avec plus ou moins de douleur ou de quiétude, notre fragile condition humaine, notre temporalité et sa raison d’être. Alors, pour moi, peintre, le Glacis, oui, était une évidence. Le Glacis pour lui même, sans intention de représentation, sans composition, sans ajout de fioritures. Le Glacis pour ce qu’il est, silencieusement, avec ses 3 clefs, son auto-fragmentation, ses deltatisations, son ouverture d’aile et toutes les couleurs qui chantent ensemble sans jamais devenir cacophoniques. Un Glacis en lâcher-prise, harmonieux et vibrant, respectueux du regard de chacun, mais certainement pas neutre, ni insipide, ni « bien pensant ». J’avais vu comme un signe cette demande alors que je m’apprêtais à confier les toiles restantes de l’exposition d’avril dernier à une salle de Yoga. Nous avons, avec Laura (princesse aux petits pois) et Urszula (mon amie de toujours et compagne d’atelier), complété ce premier apport par d’autres toiles en mettant en place le même processus.

Art et Société : un malentendu?

Unité 3Reste que j’écris cet article pour me consoler d’une rencontre qui n’a pas eu lieu. Ce que je viens d’écrire, manque de temps faisant, n’a pas été l’objet d’un partage avec d’éventuels interlocuteurs. Mes réflexions sont restées dans l’atelier et leurs fruits livrés la veille de l’inauguration, sans plus de concertation. Étaient présents à cette inauguration, des Directeurs d’établissements, des médecins, des chefs de service, du personnel soignant, du personnel techniques, des psychologues… Il y a été question de l’importance de cet « équipement dans la carte régionale des aménagements », de la réussite architecturale menée conjointement par le bureau d’étude et l’équipe soignante, du défi pour l’avenir du développement d’unités de ce type. De mon travail n’est ressorti, au détour d’une porte, que le mot « joli ». N’allez pas croire que mon ego s’en offusque (ou alors un petit peu parce qu’il ne peut pas s’en empêcher). Il est évident que je suis arrivée, seule, à la fin d’une histoire où l’Art n’a pas été pris en compte dés l’origine. Le travail de fond, l’engagement de l’équipe, n’est certainement pas à revoir. Mais, il m’est apparu clairement que mes tableaux n’étaient là que pour ajouter une « petite touche déco », « jolie », « sympa », à un lieu qui aurait pu paraitre, sans cela, un peu trop austère. C’est mortifiant… Heureusement, la veille, alors que j’accrochais mes toiles, une femme est venue les regarder. Comme je lui demandais ce qu’elle en pensait, elle m’a avoué, dans un souffle, que sa fille était en train de mourir, là, derrière une des portes. Le besoin de lâcher un peu de cette énorme peine l’avait fait sortir dans le couloir et regarder les murs. Elle m’a dit : « Vous savez, parfois, c’est moche la vie, mais vos tableaux font du bien ». Ouf! Si les directeurs et autres grands pontes n’y ont vu rien d’autre qu’un décor, le glacis va tout de même pouvoir faire son silencieux travail… Voilà, j’ouvre avec cet article un peu plus personnel que de coutume, une réflexion à qui voudra y participer. Quelle est la place de l’Art? Quelle place laisse t-on à son expression dans notre Société? L’artiste peut-il se passer d’être pédagogue dans une société qui ne sait plus à quoi il sert? A vous lire…

Spalter à dents : le Glacis dans tous les sens

Dialogue - ChengFrançois Cheng s’interroge dans son livre « Dialogue » sur l’incroyable complexité du mot « sens » en français. Il y a le sens- direction, celui qui nous dit vers où aller. Le sens-signification qui permet une interprétation. Et le sens-sensation qui nous relie à nos capteur personnels, nos sens. Le tout dans un mot monosyllabique. Un concentré en quelque sorte.

Mais un concentré de quoi, en fait? De Glacis, bien sûr!

Le glacis liquide, concentré de couche picturale en devenir, nous parle de mouvements, de voyages, de la direction du vent autant que de celle de l’air. Il est aussi porteur de sens lorsqu’il demande un cap au peintre qui s’engage dans une Partie de Go. Il donne du sens à un lâcher-prise dernière lequel se cache rien de moins que l’âme du peintre, et par là, sait se faire glacis-révélateur. Le glacis-sensation, enfin, nous relie à tous nos sens et parfois nous aide à prendre conscience de celui qui prédomine en nous.

Car, n’allez pas croire qu’un peintre est forcément en prédominance visuelle. Aussi paradoxale que ce puisse paraitre, la couche picturale a des effets très différents sur les uns et les autres. Si certains en ont l’œil caressé, d’autre parlerons d’une impression mélodique, ou tactile (pour ne pas dire sensuelle), ou gustative (je suis de ceux-là). Une Hélène venue dans l’atelier cet été a passé deux jours le nez en l’air, reniflant l’atelier et sa couche picturale avec délectation. Certains encore le perçoivent directement en plein plexus solaire, comme un choc émotionnel.

Le spalter à dents, la brosse qui ouvre les ailes

Ouverture d'aile 1Je vous ai déjà parler longuement du blaireau, cette brosse timide et audacieuse dont il est facile de tomber amoureux. Mais la brosse qui parle le mieux du sens est incontestablement le spalter à crans (ou spalter à dents selon que l’on ait envie de la voir mordre un peu la couche picturale ou non). Chaque brosse a sa personnalité. Celle du spalter à dents est dégourdie, débrouillarde et exigeante. C’est la brosse d’ouverture d’aile par excellence (le glacis est plein de mots poétiques et techniques à la fois, dont j’attends avec impatience le recensement promis par Cat la Bretonne).

Et qu’y a t-il dans une « ouverture d’aile »? 3 sens et un beau centrage.

Les 3 sens de François Cheng. La direction, tout d’abord, qui traverse la surface picturale. La sensation, ensuite, avec la pression exercée sur la brosse. La signification, enfin, sous la forme d’un ruban pris dans un souffle. Et pour tenir ces 3 sens, un peintre en pleine expiration, les deux pieds bien campés dans le sol et le bras libéré des règles occidentales de l’écriture.

Voilà, lorsque l’on parle de sens on n’est jamais très loin d’un gobelet de glacis. Qu’il soit rêvé ou bien réel.

A Cat la Bretonne et à tous ceux qui voudront en parler, je laisse la place pour les mots du glacis. N’hésitez pas à ouvrir vos ailes sur vos claviers.

Faire un tableau

On commence toujours pour une mauvaise raison : parce que l’on veut faire un tableau. Comme un alchimiste voudrait changer le plomb en or.

Je n’écris pas ça pour vous décourager, parce qu’après tout, cette mauvaise raison va vous permettre de commencer. Tout est bon plutôt que de ne rien engager.

Mais est-ce véritablement la raison qui vous « met en peinture »?

Mettre de la couleur sur une toile.

Mettre de la couleurCe qui ne va pas avec cette idée de faire un tableau, c’est que c’est un peu comme de mettre la charrue avant les bœufs. De choisir le cadre avant d’ouvrir un tube. Où encore de se mettre en objectif de résultat, avant même d’avoir compris vraiment dans quoi on met les pieds.

Si on en reste à la définition matérielle de l’élaboration d’un tableau, mettre de la peinture sur une toile doit pouvoir être à la portée de n’importe qui. Pour peu que vous ne soyez pas trop maladroit, faire une nature morte ou un paysage peut sembler un accomplissement. Surtout si votre voisine veut vous l’acheter.

Mais voilà, ça n’est que la surface des choses. Le tableau n’est pas un objet, le tableau est un chemin. Un drôle de chemin qui ramène toujours à l’essentiel.

Revenir à l’essentiel

On part toujours trop vite. Sans prendre conscience que ce que l’on cherche n’est pas ailleurs mais déjà là. On part très loin, comme dans les contes, pour réaliser que ce que l’on était parti chercher au bout du monde se trouvait déjà dans l’atelier au  commencement : le peintre et sa toile. Le peintre surtout et la toile qui est un miroir magique…

Vous voulez faire un tableau? Regarder attentivement un brin d’herbe. Sentez comme la lumière qui passe au travers vous éclaire aussi. Comme les nervures qui le structurent et le tiennent droit vous structurent et vous font tenir droit. Comme l’énorme énergie qu’il développe pour tendre vers le ciel est précisément celle qui vous anime. Toutes les nuances de vert qui le composent comme autant de nuances en vous…

brin d'herbe 1brin d'herbe 3Je souris en écrivant cet article parce que je n’ai pas dérogé à la règle. Petite, je voulais être peintre et faire les plus beaux tableaux du monde. Ce n’est que très progressivement et plus de quarante ans après que j’ai compris ce que je viens de vous écrire.

Le sujet importe peu, l’objet moins encore et sa beauté est relative. Ce qui compte, c’est le cheminement.

On commence véritablement à peindre quand le tableau n’est plus le but. Ou, pour ne pas vous décourager, lorsque le tableau n’est plus le seul but.

Votre avis m’intéresse sur cette question. N’hésitez pas à rebondir sur mes mots. Promis, ils resteront les vôtres, je les retirerai ou les modifierai à votre demande à n’importe quel moment. A votre clavier!!!

Transmettre le Glacis

Salle de classeOn me parle souvent de mes cours. Pour savoir quand ils ont lieu, ce qu’il faut déjà savoir pour y assister…. Dans le regard de mon interlocuteur, je me vois transformée en maîtresse enseignant le Glacis à des élèves qui devraient l’apprendre pour pouvoir peindre. Sauf que… je ne suis pas une maitresse, que je ne donne pas de cours et que les personnes qui viennent me voir ont souvent depuis longtemps renoncé aux culottes courtes. Mais on ne se débarrasse pas si facilement d’un modèle éducatif tenace. Il est même si profondément inscrit dans notre schéma social qu’il faut parfois plusieurs rencontres avant qu’enfin il laisse la place à quelque chose de plus respectueux entre adultes.

En finir avec l’idée d’un cours

Qu’est-ce que serait un cours de Glacis? Un endroit où on arriverait vide d’un manque et où on pourrait le combler en remplissant ce qui ressemblerait à une case vide. On ferait, en s’appliquant, ce qu’on nous dirait de faire et ça rentrerait en nous à force de persévérance et d’application. On y absorberait ce qu’on peut et lorsque l’éponge-cerveau serait pleine, on se donnerait rendez-vous pour un autre cours. Dans un cours, on avance par degrés de difficulté. On commence avec ce qui est facile, et petit à petit ça devient de plus en plus difficile et complexe. Donc il faut s’appliquer pour réussir à passer au niveau au dessus.élève-prof Alors que j’écris ces mots je sens mes cheveux se dresser sur ma tête et je m’entends soupirer… Ça voudrait dire que celui qui vient me voir ne sait rien et moi tout. Ce qui n’est JAMAIS le cas. Tout d’abord parce que celui qui arrive dans l’atelier est justement riche de son expérience. Il se crée une sorte d’alchimie entre le Glacis et lui où l’expérimentateur est directement impliqué dans ce que répond le glacis. Et cette réponse n’est pas une projection, une belle image qui témoignerait de son application mais rien de moins que… la vie qui le traverse et le façonne. Au delà du réussi, du bien fait, de

l’identifiable, le Glacis parle de cette présence qui ne nous quitte jamais mais dont la plupart d’entre nous ignore tout : soi même. Ensuite, parce que je continue à découvrir le glacis chaque jour, j’ai compris depuis quelques temps maintenant que je n’en ferai jamais le tour. D’ailleurs le tour de la question n’est absolument pas le but de mon travail. J’ai déjà très humblement à faire ma connaissance, je ne peux apprendre à personne qui il est.

Transmettre donc.

Ce verbe implique l’idée d’un lien, d’un passage. L’idée que quelque chose est en mouvement qui passe par là et continue sa route. Transmettre c’est recevoir et faire passer, presque simultanément, d’une main à l’autre. C’est fluide, ça coule, ça passe… comme le glacis! Glacis très polymériséTransmettre c’est, bien plus que la technique picturale en soi, le partage de sa philosophie. Ça dépend bien moins de celui qui parle que de celui qui écoute. Ça touche le cœur avant la tête. Et ça passe d’une main à l’autre, parce que c’est avec la main que l’on peint, pas la tête. Je parle bien sur (je suis assez bavarde, j’en ai peur). Mais pendant ce temps, silencieusement, le glacis répond. Il coule, s’auto-fragmente, se deltatise, part en mourant, ouvre ses ailes, fait des notes suspendus, des motifs secrets, se met en plaisir différé, superpose ses textures sans les trahir, revendique sa réversibilité, ne piège jamais le peintre ni la lumière, les aligne, les accompagne… Le glacis ne fait pas de différence entre un professionnel et un amateur. Il s’adresse à qui le reconnait, le relie, fait le passage. Finalement, tout est dit dans l’article de ce blog : 3 clefs. Le reste… c’est vivre! PS : Vous le constaterez comme moi, rares sont ceux qui se risquent à commenter un de mes articles. Pourtant ma boite mail déborde de vos réactions. Comment vous encourager à les partager? En vous assurant que je reste à votre écoute pour effacer ou modifier ce que vous écrirez autant que vous le voudrez? Mais peut être surtout en vous assurant que la toute petite communauté (une trentaine de personnes) qui lit ce blog est véritablement composée de personnes bienveillantes, curieuses et amicales autant que vous l’êtes. Imaginez-vous ça? Et que ceux qui découvrent, par hasard, ce blog en surfant sur internet ne peuvent qu’être ainsi lorsqu’ils lisent un article jusqu’à la fin (sans quoi ils décrocheraient dès les premières lignes, vous assurant ainsi qu’ils ne parviendront pas jusqu’à vos timides et pourtant précieux mots). Alors, n’hésitez pas : rebondissez, écrivez, partagez !!!    

Les photos de l’exposition Blan et Arthusa

Bienvenue dans la Galerie Elzévir, 15 rue Elzévir, Paris 3éme !
Bienvenue dans la Galerie Elzévir, 15 rue Elzévir, Paris 3éme !

L’exposition de mes glacis sur le thème d’Aréthuse, la nymphe des Sources, à la Galerie Elzévir s’est achevée dimanche 20 avril. Vous avez été nombreux à ne pas avoir pu venir en raison des vacances, ou à avoir eu du mal à voir les tableaux à cause de l’affluence dans cette petite (et terriblement charmante) galerie.

Alors, tranquillement, intimement presque, et rien que pour vous, voici les photos improbables d’une galerie calme, silencieuse où les glacis peuvent, enfin, vous parler d’eau (d’eux)…

Pour ceux qui veulent en savoir un peu plus sur la réalisation de cette exposition,voici un lien vers l’article qui en parle.

D’autre part, un onglet supplémentaire est prévu prochainement sur boitedeblan.com, qui vous permettra de voir ce travail plus en détail, en parallèle avec celui de teinture sur soie d’Ursula qui travaille à côté de moi dans l‘atelier.

Glacis huile, papiers marouflés sur toile, 40x120
Glacis huile, papiers marouflés sur toile, 40×120

 

Une mosaïque de petites toiles en 40x40
Une mosaïque de petites toiles en 40×40
Glacis huile, papiers marouflés sur toile, 40x120
Glacis huile, papiers marouflés sur toile, 40×120

Le Glacis, ou quand le possible dépasse l’imagination

Courbet - Portrait de P.AnsoutIl y a dans l’acte pictural une recherche qui relève sans doute d’un phantasme : celui de pouvoir visualiser ce que l’on ressent. Mettre une image sur l’indicible. Rendre réel ce dont on doute peut-être. Et le partager.

Un rêve auquel ont répondu de manières très variées les peintres durant toute l’histoire de l’art. Le Glacis, quant à lui y a répondu, dans son histoire, de deux façons différentes, presque antinomiques et cependant complémentaires. Il y a d’un côté « le Réalisme » (dont Courbet a formulé la devise en revendiquant ne désormais plus peindre que ce qu’il voyait).  Mais il y a aussi, et pas forcément dans l’optique du Réalisme, le choix de ce médium pictural pour rendre visible le projet d’un peintre, et lui conférer ainsi une sorte de réalité.

Le Glacis et le Réalisme

Faux marbreLe Réalisme a très largement imprégné l’art du glacis. Les peintres décorateurs, inventeurs de cette technique, étaient des experts en trompe l’œil. Ils observaient et copiaient la Nature dans ce qu’elle leur semblait avoir de plus beau et le reproduisaient à l’aide d’un médium, difficile à maitriser mais bluffant. Il s’agissait donc de maitriser le mieux possible, humblement et besogneusement, ce médium, en y ajoutant une lecture compréhensive du monde pour aboutir à une réalisation aussi belle que la réalité.

Nulle place à l’imagination dans ce processus. Mais, en revanche, une humilité, une compréhension fine et quasi-philosophique, des productions de la nature. S’interroger, par exemple, sur la vitesse de croissance des différentes espèces d’arbres pour en comprendre la structure des bois de fil et des ronces. Aller dans les mines regarder comment un marbre se présente, s’est composé géologiquement, s’exploite, se débite, pour reproduire au mieux l’extraordinaire singularité de chacun d’eux dans l’atelier ou sur un chantier… Une façon de poser son regard sur le monde à la fois amoureux et sélectif. N’en garder que le meilleur.

Le Glacis et les émotions

Flaque d'eauA l’opposé, la façon dont je travaille avec le glacis dans l’atelier ne se veut aucunement un travail de reproduction de la Nature. Et pourtant, dans pratiquement tous les cas, les premières réalisations qui en découlent parlent toutes de la Nature. Comme si le Glacis portait en lui, sans qu’il soit nécessaire de le maitriser, tout ce que les peintres décorateurs se sont escrimés à imiter. Et bien plus encore…

Si vous décidez de peindre le reflet sur un chemin du ciel dans une flaque d’eau, il est fort probable qu’une analyse préalable, très minutieuse et très besogneuse vous soit nécessaire pour bien comprendre les rendus transparents et cependant distincts de l’eau et du ciel. Études, recherches, essais et applications seront de mise.

En travaillant sur ma marge accidentelle, en laissant le glacis répondre à mon geste pictural sans le contraindre à signifier une intention précise, ce rendu est souvent au rendez-vous. On n’en prend conscience qu’après séchage, en s’émerveillant de la poésie de ce que l’on découvre de soi que jamais nous n’aurions, sans des années de techniques, pensions-nous, pu obtenir.

Il s’agit donc de laisser le Glacis nous parler de ce que nous connaissons mais intellectualisons bien trop pour en maitriser vraiment la reproduction. La réalité du rendu, alors, dépasse de beaucoup, l’imagination. Comme un bébé sort parfaitement formé du ventre de sa mère sans pour autant que, durant la grossesse, elle ait du s’inquiéter de concevoir intellectuellement l’incroyable complexité d’un corps humain dans sa singularité.

Voilà : il ne s’agit, finalement, que d’accepter de démissionner ce qu’il faut de notre désir de tout maitriser pour que la réponse sonne juste.

La petite phrase d’excuse

Sous une forme ou une autre, c’est celle que l’on prononce systématiquement en entrant dans l’atelier. J’ai nommé : la petite phrase d’excuse. Caricaturalement, elle dit : « Je ne sais pas pour les autres, mais moi, je ne suis  pas vraiment un peintre (un artiste, un créateur, etc). »Moi et les autres

Je l’appelle la « petite phrase d’excuse » parce qu’elle en a le ton. Mais ce qu’elle dit ressemble davantage à un déni de ses capacités. Les autres savent, réussissent, méritent d’être là, de se dire peintre, d’exposer. Moi, non. Une comparaison dans l’absolu qui ne prend personne en particulier comme point de repaire. Juste que les autres, oui, certainement. Mais moi, non. Et n’allez pas croire qu’elle ne concerne que les débutants. Pas du tout. Elle prend juste des formes plus élaborées. Par exemple : « Je suis peintre mais je n’ai jamais appris. Alors c’est peu un hasard si ce que je fais plait. » Ou encore « Je ne comprends pas pourquoi on m’achète mes tableaux. Ils ne sont jamais assez aboutis (finis, satisfaisants, professionnels, etc) ». De là à penser ceux qui les achètent sont, soit gentils, soit aveugles…

Mais d’où vient-elle, cette petite phrase?

Drôle de mélange, entre modestie et audace. Comme un rituel pour se garantir d’un jugement extérieur qui serait pire que le sien. Se dénigrer pour ne pas avoir à l’être par d’autres. Se différencier négativement pour être mieux pris en compte, respecté, entendu. Un drôle de truc compliqué et bizarre qui nous traverse tous la tête, débutants ou confirmés. Un reste d’on ne sait quoi, qui vient polluer le droit, légitime, simple, évident d’être là parce qu’on a fait le chemin pour y être. Dans l’atelier. Pour peindre.

Peintre mauditÇa se joue à plusieurs niveaux. J’y entends tout d’abord une empreinte plus ou moins déguisée de notre bonne vieille éducation occidentale. Il faudrait être méritant pour mériter d’être. Comme il faudrait déjà savoir pour mériter d’apprendre. Et, sans doute, être peintre avant de l’être. Mais qui décide de la chose? Papa et maman? la maîtresse? Le grand frère? Le grand-père? Et pourquoi pas soi même? Hein? Enfin, quoi? Qui sait mieux que tout le monde ce qui nous attire, nous titille, nous travaille, se rappelle à nous comme une frustration ou une invitation? Hein? Qui donc, sinon nous-même? En quoi serait-il prétentieux de justement s’entendre, se répondre, essayer? Puisque ça insiste en dedans c’est bien qu’il doit déjà y en avoir un peu. Tout comme il y a dans une question déjà un peu de sa réponse, non?

« Mais, finissent par avouer certains, peindre ça n’est tout de même pas sérieux… On ne peut pas en faire sa vie. On doit nourrir ses enfants, payer la maison, régler les traites… » Deuxième aspect donc de la fameuse petite phrase : j’aimerai bien, mais j’peux point. Et là, ça n’a rien de technique. L’impossibilité relève bien moins de mes limites que de ma survie. Laquelle survie exige des réponses sonnantes et trébuchantes : combien ça va me rapporter? Pour la faire vite : « Si je me mets à peindre, à quel moment vais-je crever de faim? »

Je suis donc là, dans l’atelier, MAIS je m’autorise une chose qui n’est pas autorisée : faire ce qui me démange. MAIS qui ne rapporte pas d’argent (ou alors, seulement quand on a du bol).

Peindre, pour quoi faire alors?

Mon avis de peintre accompagnant des peintres, c’est que vous êtes là parce que vous en avez ENVIE. A entendre aussi EN (plus loin) VIE. Et parce que vous êtes en vie, vous n’êtes pas des machines, aussi performantes puissent-elles être, mais des êtres humains à qui la vie a été accordée. Inutile donc de chercher à la gagner, cette vie : vous l’avez!

Que se joue t-il véritablement dans l’atelier? Que se cache t-il véritablement derrière la petite phrase d’excuse?

lâcher priseDerrière se cache la moitié de nous. Pas tout de nous. Juste la moitié. Celle qui ne trouve pas sa place dans l’idée d’être performant, de gagner, de réussir, de payer les traites, de prendre rendez-vous chez le dentiste, de ne rien oublier d’important… Juste l’autre moitié de nous. Celle qui sent, ressent, est touchée, émue, bouleversée, retournée, chavirée, émerveillée, éblouie, ravie. Celle qui palpite, gargouille, se noue, se dénoue, bat la chamade…  Sourit aussi. Celle que l’on ne lâche pas si facilement. Celle qui exige un lâcher-prise. D’être lâchée pour être bien prise.

Pour moi, l’atelier fait partie de ces lieux indispensable à l’équilibre de l’humanité où cette fameuse moitié de nous trouve pleinement, légitimement, simplement, la place qui lui est due. Une place pour ne pas gagner sa vie mais la vivre. Il n’est pas le seul lieu de ce type mais il est celui que vous avez choisi. Lui, avec ses pinceaux, ses couleurs et ses odeurs… et le glacis!?!!

Ne vous excusez donc pas de venir. Votre envie (en vie) est juste. Et je la prends avec vos doutes. Le tout décantera dans l’atelier.