Depuis quelques années, les publications sur l’alchimie se multiplient. C’est réjouissant, car cette discipline longtemps délaissée retrouve enfin le lumière à un moment où notre monde en manque cruellement. Mais c’est aussi préoccupant : à force d’être simplifiée ou détournée, elle risque de devenir une mode de plus, un ensemble de croyances plus ou moins floues, transformées en produit marketing. Voici donc mon point de vue sur cette pratique à la fois philosophique et expérimentale qui, malgré les caricatures et un folklore parfois envahissant, demeure une des sources majeures de la culture occidentale.
C’est quoi, l’alchimie ?
Si je ne devais en partager que l’essentiel pour moi, ce serait la posture singulière de l’alchimiste. Contrairement au scientifique, il ne se considère jamais extérieur à son expérience. Il en fait partie. Ce qui se déroule dans le creuset reflète un travail intérieur : transformer le plomb en or, c’est avant tout élever sa conscience en suivant les étapes du Grand Œuvre.
Le terme même de Grand Œuvre dit l’essentiel : l’alchimie est un art. Et, comme toute démarche artistique, le premier matériau de travail est l’artiste lui-même. Elle a comme premier sujet d’expérimentation l’artiste lui-même. Il ne s’agit pas de produire de l’or mais de marcher vers ce qui donne du sens – un cap. Si j’en crois ma pratique, l’or n’est pas un but mais un cap, comme on prend la mer. Certains vont même jusqu’à dire que l’or n’est qu’un jalon, un signe sur le chemin. Chaque étape laisse des traces : des œuvres capables, pour qui les regarde avec attention, de toucher un point juste en lui, bien au delà des mots. Ces œuvres ne sont pas de simples objets : ce sont des objets vivants, qui transforment leur environnement et ceux qui les approchent.
En quoi le glacis est-il une pratique alchimique ?
L’alchimiste conçoit la création du monde autour de trois principes : le souffre, le mercure et le sel. Or ces trois principes se retrouvent précisément dans la composition du glacis, auxquels s’ajoute la couleur, quatrième élément et alter-ego du peintre. Peindre devient alors un acte de conscience : une manière très contemporaine dans ses mots et très ancienne dans son intention d’accomplir son « métier d’homme ».
Les composants du glacis -pigments, médiums, huile, bière – mettent en mouvement un processus comparable aux étapes du Grand Œuvre : noir, blanc, jaune, rouge… Rien de tout cela n’est dû au hasard.
Une tradition qui s’est transmise autrement
Pendant des siècles, l’alchimie s’est transmise à travers des images, des récits, des chansons : une langue symbolique, la fameuse « langue des oiseaux ». Les chantiers des cathédrales, au Moyen Age, ont largement contribué à cette diffusion, et les corporations de métiers en ont maintenu l’esprit, parfois même sans en avoir conscience. Les cathédrales, Bibles de pierre ouvertes au ciel, sont aussi -pour qui sait les lire ( Fulcarelli – Le mystère des cathédrales – Albin Michel) – de véritables manuels du Grand Oeuvre.
A partir du XVIème siècle, les grands chantiers s’essoufflent et l’Europe entre dans la Renaissance. Au XVIIe, la pensée rationnelle de Descartes s’impose comme fondement de la modernité, tandis que la visions plus globale de Pascal reste en retrait, même si les recherches actuelles semblent lui redonner de la vigueur.
C’est en plein XVIIe siècle que le Glacis apparait, porté par la corporation des peintres en décor. Au moment même où l’académisme se développe, ils choisissent de fonctionner sur l’ancien modèle moyenâgeux du corporatisme : transmission orale, apprentissage équitable entre savoir-faire et savoir-être, voyages initiatiques… Mais en lieu et place des cathédrales, ils marquent de leur philosophie les grands décors peints, d’abord à Vaux-le-vicomte, puis à Versailles, et partout en Europe ensuite. La langue des oiseaux y murmure encore : on y « ouvre ses ailes » pour « partir en mourant ».
Pour aller plus loin
Pour une approche claire et accessible de l’alchimie, on pourra lire Patrick Burensteinas (un alchimiste raconte- autobiographie d’un alchimiste).
Un chemin avait été ouvert antérieurement, dans les années 1930, par Carl Gustav Jung (Psychologie et Alchimie). La psychologie moderne s’appuie de plus en plus sur ses travaux. J’en ai fait l’un des fondements de ma pratique et de ma déontologie.