Pour ceux qui ne parlent pas anglais : « L’art est un sale boulot mais quelqu’un doit le faire ». Je ne sais pas de qui est cette phrase mais elle revient de façon récurrente dans l’atelier, et à chaque fois avec une autre lecture.
Oui, c’est sale de faire de la peinture. L’atelier s’impose. On en met partout : sol, murs, plafond… Et on S’EN met partout. Même après la douche… Mais, franchement, c’est un moindre mal que ces taches, giclages, et postillons pour l’élaboration d’un tableau. On se salit certes mais de là à penser que c’est un sale boulot…
Alors, ça vient d’où cette idée?
Ça vient peut-être d’un paradoxe. On part en peinture pour faire du « beau » et finalement si on en reste là, ça tourne bien souvent au travail manuel, soigné, léché, appliqué. Et lorsque, conscient qu’il y a un truc qui ne va pas, on renonce au « beau » pour quelque chose d’un peu plus « profond », ça dérape faramineusement. Du « joli », on passe parfois par une phase de « vide », puis par une autre, incertaine, perçue souvent comme chaotique.
Disons que lorsqu’on abandonne le sentier bien bordé d’un certain esthétisme qui serait, dans notre culture occidentale naturaliste encore, le propre de l’Art, ça peut commencer vraiment à devenir « a dirty job ».
Pour celui que ça ne décourage pas dans son processus créatif, il va falloir se réconcilier avec sa part d’ombre, aller chercher ce qui sera moins « présentable », pour exprimer plus justement son… âme? son être? sa nature? son ressenti? sa personnalité? peu importe… mais ça sort du cadre!
Voilà : peindre pour ne pas devenir plus beau ou meilleur mais juste pour être. Comme ça. Pour ce que c’est. Imparfait donc. Sale si l’on veut. Pas tout neuf, pas tout propre en tout cas…
Le Nedjar
Et à propos de « pas propre, pas tout neuf », il y a une association colorée avec laquelle je joue beaucoup dans l’atelier : le Nedjar. Il s’agit d’un mélange sur la palette de Noir et de Terre d’ombre brûlée. Une sorte de bouillie primordiale dont parfois je recouvre l’intégralité de ma surface picturale dans une vaste et jubilatoire « nedjarisation ».
Le noir c’est un des rares pigments que l’on obtient aussi bien en creusant des galeries sous terre, qu’en brûlant une branche ou un os. Il trouve son origine indifféremment dans les 3 grands règnes : le végétal, l’animal, le minéral. C’est tout dire d’une longue histoire…
L’Ombre brûlée c’est un pigment très banal. On en trouve absolument partout ! A toutes les époques. A n’importe quel endroit du globe. Dans n’importe quelle civilisation. Dans toutes les cultures dites archaïques et primitives jusqu’à aujourd’hui et ici, bien sur. C’est aussi la couleur de la terre, de l’humus, c’est la couleur du cycle de vie et de décomposition. C’est l’histoire de la vie…
Et donc, si on mélange les deux… on obtient : l’Histoire de la Terre et des Hommes. Des hommes sur cette terre bien plus vieille qu’eux, de leur fragilité et de leur formidable élan de vie.
Quand j’introduis le Nedjar dans ma partie de Go, j’ai vraiment les deux mains dedans. Du vrai « dirty job » à faire pâlir de terreur une blanchisseuse. Et pourtant, il porte en lui une vibration bien particulière qu’aucun autre mélange ne rend avec autant d’émotion, allant du sombre le plus opaque à un beige mordoré paradoxalement lumineux. Chaque fois que je l’étale sur ma toile, le souffle du monde vient animer mon travail des « ombres grouillantes » si chères à Rembrandt.
Encore lui faut-il un médium pictural adapté pour le révéler. Ce que le glacis fait à merveille bien sur. On peut alors jouer de toutes ses nuances, de ses profondeurs, de ses pépites de lumières. Le glacis est un médium qui lui donne la possibilité d’être sculpté, de lui rendre ses transparences, de favoriser l’immensité de ses textures et nous raconter, nous : les hommes, les deux mains dans la terre ! Sales donc…
Dans les coups de foudre de l’atelier, outre le Blaireau dont je vous parlais l’autre jour, il y a la rencontre avec le Nedjar. L’un ou l’une d’entre vous s’essayera t-il à en parler ici? De tout cœur merci.