Peindre avec pour médium de la bière, est-ce bien sérieux? D’où vient cette technique? Quelles en sont les possibilités? Un article de fond sur un médium pictural méconnu et pourtant très touchant.
La bière ou le génie de la maladresse
Le glacis à la bière est apparu au XVIIème siècle en même temps que le glacis à l’huile liquide avec lequel je travaille. Tous les deux sont des inventions techniques de la Corporation des Peintres Décorateurs. Mais avant d’aborder l’intérêt du glacis à la bière, la question qui revient entre toutes les lèvres est bien de savoir comment une telle idée leur est venue en tête.
A mon avis, il en va du glacis à la bière comme de la Tarte Tatin. On raconte que cette dernière est née de la maladresse de deux sœurs qui, ayant retourné une tarte en la démoulant, l’ont servi présentée à l’envers pour le plus grand plaisir de leurs invités. Il est bien probable que nos Peintres décorateurs du XVIIème siècle aient eu une mésaventure similaire. Ayant le gosier facilement sec sur les chantiers, ils ont sans doute décidé d’accompagner leur dure journée de travail de quelques gorgées de bière, histoire de rendre plus léger le processus créatif… Lequel d’entre eux a confondu son verre avec le pot de glacis? Mystère… Reste que de cette maladresse le glacis à la bière est vraisemblablement né.
Peindre à la bière, mais pourquoi faire?
Tout l’intérêt de la bière est qu’elle sèche vite. L’alcool qui la compose s’évapore rapidement et laisse une couche picturale, fragile certes, inaboutie indéniablement, mais toute prête à être confirmée et retravaillée avec le glacis à l’huile. Une avancée technique contestable mais particulièrement bienvenue au XVIIème siècle dans l’élaboration d’une œuvre où le peintre décorateur était déjà en retard avant de commencer des retards des autres corps de métiers avant lui. Deux couches picturales dans une seule journée, c’est le double de la normale : autant de journées gagnées!
Le glacis à la bière, donc, ça fait gagner du temps. Grâce à cela, les décorateurs vont lui pardonner tous ces défauts. Et ils ne manquent pas! Tout d’abord, cette technique ne tient pas toute seule. Sans glacis huile par dessus, la couche picturale n’a aucune chance d’être pérenne. Ensuite, comme ça manque furieusement de gras pour nourrir le pigment, le résultat est loin d’être spectaculaire et serait même plutôt terne. Enfin, la bière ne peut servir de liant qu’à une quantité limitée de pigment sous peine de voir la couche picturale se décoller du support.
Bref, la bière c’est l’ancêtre de la peinture acrylique, en moins performant. Et pourtant…
Et si le glacis bière cachait des secrets?
Parce qu’elle est bancale, inaboutie, plutôt du genre « mère indigne » à l’égard de ses « enfants-pigments », elle sera vite oubliée sitôt la découverte d’un liant à l’eau plus résistant. La bière ne répond aux normes élémentaires de toute bonne couche picturale. Et pourtant, de ce qui semblerait une malédiction, elle garde jalousement des atouts qu’aucune autre technique ne nous accorde : elle parle une langue oubliée et elle se dépouille…
Commençons par le dépouillage parce que le mot intrigue. Le dépouillage… Qu’est-ce que c’est que cette histoire? Oui, comme sur la tête d’un enfant, on peut revenir dans une couche picturale à la bière lui chercher des poux. Entendez par là qu’on va pouvoir la retravailler pour qu’elle nous livre des empruntes très particulières. Des rendus qu’aucun glacis huile, aucun autre médium, aussi civilisé et performant soit-il, ne peut obtenir. C’est l’histoire du papillon dont les ailes sont atrophiés mais qui fait le fil de soie….
Quant à la langue oubliée, de quoi s’agit-il? La bière, parce qu’elle ne le nourrit pas correctement, oblige le pigment à témoigner de ses origines. Or, les origines des pigments sont soit animales, soit végétales, soit, dans plus de 90% des cas, minérales. Alors, quand on peint avec la bière, on parle… des origines du monde. Du monde d’avant la civilisation. Sur un tableau, la rencontre d’une couche picturale bière avec un glacis huile, c’est un peu comme si Mozart épousait une femme aborigène d’Australie. Ça secoue pas mal, il y a bien quelques fausses notes, mais leur bébé est tout à fait extraordinaire.
Le glacis à la bière ou la fin d’une croyance : pas de maigre sur gras
Enfin, la bière nous ramène à notre bon sens. Qui a dit qu’il était interdit de peindre maigre sur gras? Je pose la question parce que sous prétexte que ça n’est pas possible, vous n’imaginez pas le nombre peintres qui considèrent la chose comme interdite. Comme si l’impossible était synonyme d’interdit…
Si tel était le cas, les Peintres Décorateurs auraient vite abandonné une technique aussi peu accommodante. Tout au contraire, non seulement le glacis à la bière permet deux glaçages dans une journée, mais, pour peu qu’on soit un peu astucieux, on peut le lendemain recommencer de plus bel sur la couche huile sèche de la veille. Ce dont, ni les peintres décorateurs, ni moi ne nous privons!
Vous l’aurez compris, le glacis à la bière est une technique touchante, surprenante et pleine d’astuces. Elle nous pousse dans nos retranchements, nous oblige à revenir sur nos certitudes, nous ouvre les œillères bien grandes. Reste qu’il n’est vraiment pas possible de l’aborder sans avoir déjà bien compris comment son pendant, le Glacis Huile, fonctionne. Je ne vous y initie donc qu’après, minima, une initiation au glacis huile et lorsque les 3 clefs sont intégrées.
Comme à chaque fois, je vous laisse très volontiers la parole pour parler de votre rencontre avec le Glacis Bière. Ou comment la mise en bière de votre tableau vous a fait le plus grand bien?