Bertrand Vergely et le glacis

Dos d'un cadre (haut)J’étais mercredi soir dernier à Paris pour écouter une conférence donnée par Bertrand Vergely sur « La Vie comme Chef d’œuvre ». Bertand Vergely est un philosophe, professeur à Normale Supérieure, qui transmet la philosophie avec passion et générosité dans notre société qui a encore, trop souvent, tendance à en oublier la ressource. Il ne s’agit pas ici de reprendre l’intégralité de la conférence, mais bien de rebondir sur certaines des idées développées et de les partager avec vous.

L’incroyable matérialité de l’œuvre

MagritteIl y a une chose assez étonnante à bien y réfléchir lorsque l’on envisage l’objet tableau. Un châssis, une toile, une couche picturale. Un objet très concret, totalement ancré dans la matérialité, au même titre que tous les objets dont on s’entoure pour constituer notre environnement. Le tableau est aussi concret qu’un fer à repasser, une louche, un pot de confiture… Et pourtant ce qu’il illustre relève du domaine de tous les possibles. Rien, absolument rien, ne limite les possibilités représentatives d’une couche picturale. Ce qui existe autant que ce qui n’existe pas y trouve pareillement leur expression. Et, parce que c’est posé, là, sur cette toile : ça existe. Une histoire folle en quelque sorte : ce que le tableau représente existe par la matérialité du tableau. Certes, on n’en fera pas usage comme de n’importe quel autre objet mais ça n’est déjà plus irréel puisque c’est représenté. Voilà certainement pourquoi faire un tableau relève certainement plus, de mon point de vue, d’un acte symbolique que d’une quelconque technicité.

Le tableau et son cadre

Dos d'un cadre (bas)Pour en revenir à la conférence de Bertrand Vergely, il existe une dimension du tableau à laquelle je n’avais, pour ma part, jamais réfléchi et qu’il a magistralement exprimé. C’est l’idée qu’un tableau est, non seulement le fruit du travail d’un peintre avec sa toile, ses pinceaux, les motifs qu’il représente mais aussi, et incroyablement, c’est un cadre. Et ce cadre marque la fin du tableau, sa limite dans l’espace. » C’est parce que ce tableau est limité qu’on peut le voir. C’est parce qu’un concerto ne dure pas des mois qu’on peut l’entendre. C’est parce qu’un roman ne fait pas des millions de pages qu’on peut le lire. » Cette expérience de la fin, de l’arrêt de l’œuvre porte en elle l’expérience même de la vie et la justification de la mort. La vie est une œuvre d’art parce qu’elle s’achève. Intuitivement, et j’en parlais d’ailleurs dans mon dernier article sur le glacis en unité de soins palliatifs, j’ai toujours su qu’il y avait dans l’atelier une grande réflexion sur l’art de vivre dans le savoir mourir. Mais je suis enchantée (et le mot n’est pas trop fort) d’avoir compris grâce à Monsieur Vergely en quoi exactement et pourquoi.

Partir en mourant

Partir en mourantPour finir cet article (qui sans cela ne pourrait pas être lu), il y a dans les gestes du glacis, un geste pictural très particulier et qui, parfois fait tiquer mes visiteurs : on « part en mourant ». On va avec son pinceau jusqu’au bout de la couleur sur la toile. Et, mais encore faut-il en faire l’expérience pour le comprendre, c’est par la grâce de ce geste que toutes les couleurs sont compatibles entre elles, que le tableau se nuance et propose des respirations à l’œil. Bref, que le tableau respire. Le glacis n’est pas une technique picturale. Le glacis est de la philosophie. « sourire » et Fin !

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