L’Essuyé ou comment sculpter dans le glacis

RencontreÇa semble paradoxal parce que le glacis est un film de peinture transparente, sans épaisseur. Comment sculpter ce qui n’a pas de matière? C’est pourtant ce que propose l’Essuyé. Alors autant le poser tout de suite : on entre là dans l’irrationnel.

« Rodin peint en marbre et Carriére sculpte en ombre. »

Eugène CarrièreC’est Eugène Carrière, peintre, grand ami de Rodin, qui pourrait être, au XIXeme siécle, l’inventeur de l’Essuyé, avec sa façon si particulière de peindre. De quoi s’agit-il exactement? Une fois la couche picturale posée, avec l’aide d’un chiffon, le peintre découvre par degrés un visage, parfois un buste entier, tout vibrant de vie et palpitant sous ses doigts.

Une rencontre singulière.

Si Eugène Carrière partait du réel et tentait avec cette technique de « faire avouer le modèle », je me suis focalisée davantage – depuis que ce qui était une technique picturale pour Carrière m’est devenue une pratique picturale –  sur l’incroyable rencontre qu’elle provoque dés lors que le peintre part avec son chiffon sans idée préconçue de celui qui va apparaitre sur sa toile. Je commence un Essuyé comme j’irai à la rencontre d’un inconnu. Rencontre impossible si la curiosité autant que la bienveillance ne sont pas de la partie. Car celui, ou celle, qui vient, est bien plus fragile, étonné et parfois même inquiet que moi.

Et lorsqu’enfin rassuré, il se révèle, nous prenons le temps de faire connaissance, d’entendre le message dont il est porteur. Je me suis longtemps demandé, d’où venait ce visage ?

Une première piste m’a conduit aux théorie de Jung sur l’inconscient dont il considère qu’il est composé de trois couches : l’inconscient émotionnel, l’insconscient trans-générationnel et l’inconscient collectif. L’Essuyé sortant de l’ombre parvient à la lumière en les traversant, comme un rêve, pour guider l’Essuyeur.

Le même Jung a écrit un livre sur l’alchimie qui a, ensuite, largement éclairé et confirmé le travail en cours lors de l’Essuyage. Le Grand Œuvre y joue un rôle capital.  Chaque Essuyeur va le parcourir, phase après phase,  et je cherche à les rendre les conscientes possible afin qu’elles puissent devenir des repères pour l’Essuyeur.

Ne plus avoir peur du noir

EssuyéC’était le titre de ma toute première exposition à la Galerie Myriam H. où n’étaient présentés que des Esssuyés. Et c’est ce que je propose à ceux que cette rencontre autrement amoureuse intriguent. Nous traversons ensemble, le chiffon à la main, la couche picturale comme on plongerait ses deux mains dans un bain sombre pour en faire émerger un visage oublié. Un visage ? Bien plus que ça : une vie, une histoire, des émotions, des souvenirs, des archétypes… J’accompagne mon « essuyeur » comme dans un rêve, à la rencontre d’une part ignorée et terriblement parlante de lui-même.

Voyager en groupe

Lors de ces très troublantes rencontres, l’impact émotionnel sur celui que j’accompagne est vite devenu évident. Il a fallu se former à l’accompagnement de cet impact et trouver des co-équipiers thérapeutes pour que toutes les meilleures conditions soient bien en place ; une écoute, un cadre, une déontologie.

Au thérapeute l’accompagnement de l’Essuyeur, à moi celui de l’Essuyé.

Cette rencontre entre l’Essuyeur et l’Essuyé sont les deux aspects d’une même personne et permet d’éclairer un moment de vie, de dégager l’Essuyeur de mémoires-traumatiques , de ré-enchanter ou de mieux conscientiser le sens à son existence. Mon atelier est devenu un lieu pour se libérer et se réparer.

De peintre, je suis ainsi devenue thérapeute et suis, à ce titre, supervisée.

Bien plus qu’une technique, l’Essuyé est un geste amoureux, de réparation ou d’acceptation de soi, de l’autre. Une rencontre émouvante au delà des apparences. Et, lorsque le processus est mené à son terme, il est une révélation.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *