Contactée par une unité de soins palliatifs (un service hospitalier destiné à accompagner les personnes en fin de vie) tout nouvellement ouverte, pour y exposer, j’ai été amenée à réfléchir sur l’ « accès à la culture » dans un lieu qui n’a pas été conçu pour, mais aussi sur ce que l’on peut exposer (et surtout ne pas exposer) dans un lieu aussi particulier.
Une prise de position.
Au risque d’en heurter certains, et comme un cri du cœur, je ne suis absolument pas pour que l’Art s’expose n’importe où. Les halls de gare, couloirs de métro, angles de rue, bords d’autoroute et autres gymnases, s’ils sont conçus pour accueillir beaucoup de monde ne sont pas des lieux de contemplation, de silence, d’écoute de soi et de l’autre. Ils sont essentiellement pratiques, destinés à gérer le mouvement, le déplacement, le manque de temps très souvent aussi. C’est tailler dans la masse en espérant y provoquer une pépite de conscience individuelle. Sous prétexte de « démocratiser l’accès à la Culture« , le plus souvent, on y galvaude l’Art en le mettant en concurrence avec les images et le bruit urbains, affiches publicitaires, signalisations routières, bruit assourdissant des autos ou des haut-parleurs. Peut-on vraiment gouter dans de telles conditions le silencieux et fragile message d’une peinture, d’une sculpture ou d’un morceau de musique magistralement interprété? De mon point de vue, c’est réduire la fonction sociale de l’Art à de la décoration, de la création d’ambiances, du divertissement. C’est au Lieu de s’adapter à l’Art et non à l’Art de s’adapter au Lieu. Prévu pour exposer l’Art dés son origine ou temporairement, c’est au Lieu de mettre en condition celui qui y passe pour le nourrir de ce qui s’y trouve. Et au visiteur de décider de sa disponibilité pour que la rencontre se fasse, pour que l’essentiel passe, et que, inspiré ou pas, il puisse poursuivre son chemin.
Exposer dans une unité de soins palliatifs
Contrairement au hall d’une gare, l’unité de soins palliatif, est un lieu où on ne court pas. En le visitant une première fois, j’ai eu le plaisir de le découvrir lumineux et calme, couleurs chaudes et douces, un piano (malheureusement silencieux) trônant au milieu. Un lieu paradoxale puisqu’il est exclusivement occupé par des vivants (patients, famille et amis, soignants) qui ont en commun la conscience de la mort, sans, étonnement, que cette dernière soit formulée, ou même formulable. Un tabou le hante. Plus que partout ailleurs, on n’en parle pas de la mort. On y fait le moins possible allusion. Toutes les chambres ont un nom d’arbre mais « chêne » ou « sapin » sont proscrits. Un lieu de passage, et quel passage!, qui voudrait bien le faire oublier. Passage si bouleversant, interrogeant, dérangeant, que tout le monde n’est pas forcément en paix avec sa proximité. Un lieu donc il faut faire attention aux mots, aux sons, aux lumières, aux voix et… aux images aussi bien sur.
Qu’y exposer? Et pourquoi?
A écouter les avis des uns et des autres, des paysages « bien peints » – coquelicots, champs de lavande -, des animaux – chatons, chevaux cavalant au grand air -, semblaient tout indiqués. Comme dans un hôtel de province. Images qui ne dérangent pas, insipides et sans saveur, avec de « jolies » couleurs. Confirmation supplémentaire, s’il en fallait, de l’utilisation habituelle de l’Art pour « faire joli », pour aider, en quelque sorte, à faire « passer la pilule ». C’est prendre ceux qui viennent dans ce lieu en mauvaise estime que de leur offrir, pour accompagner ce moment véritablement extraordinaire de leur vie, des images aseptisées d’une désolante insipidité. Et c’est aussi confondre l’artiste avec un fabricant de « belles images », une machine à camoufler ce qui dérange. C’eut été nier, surtout, toute la pertinence d’une démarche artistique dans un tel lieu, en ce qu’il ne diffère pas tant que ça de l’atelier. Ils sont de ces lieux où l’on interroge, avec plus ou moins de douleur ou de quiétude, notre fragile condition humaine, notre temporalité et sa raison d’être. Alors, pour moi, peintre, le Glacis, oui, était une évidence. Le Glacis pour lui même, sans intention de représentation, sans composition, sans ajout de fioritures. Le Glacis pour ce qu’il est, silencieusement, avec ses 3 clefs, son auto-fragmentation, ses deltatisations, son ouverture d’aile et toutes les couleurs qui chantent ensemble sans jamais devenir cacophoniques. Un Glacis en lâcher-prise, harmonieux et vibrant, respectueux du regard de chacun, mais certainement pas neutre, ni insipide, ni « bien pensant ». J’avais vu comme un signe cette demande alors que je m’apprêtais à confier les toiles restantes de l’exposition d’avril dernier à une salle de Yoga. Nous avons, avec Laura (princesse aux petits pois) et Urszula (mon amie de toujours et compagne d’atelier), complété ce premier apport par d’autres toiles en mettant en place le même processus.
Art et Société : un malentendu?
Reste que j’écris cet article pour me consoler d’une rencontre qui n’a pas eu lieu. Ce que je viens d’écrire, manque de temps faisant, n’a pas été l’objet d’un partage avec d’éventuels interlocuteurs. Mes réflexions sont restées dans l’atelier et leurs fruits livrés la veille de l’inauguration, sans plus de concertation. Étaient présents à cette inauguration, des Directeurs d’établissements, des médecins, des chefs de service, du personnel soignant, du personnel techniques, des psychologues… Il y a été question de l’importance de cet « équipement dans la carte régionale des aménagements », de la réussite architecturale menée conjointement par le bureau d’étude et l’équipe soignante, du défi pour l’avenir du développement d’unités de ce type. De mon travail n’est ressorti, au détour d’une porte, que le mot « joli ». N’allez pas croire que mon ego s’en offusque (ou alors un petit peu parce qu’il ne peut pas s’en empêcher). Il est évident que je suis arrivée, seule, à la fin d’une histoire où l’Art n’a pas été pris en compte dés l’origine. Le travail de fond, l’engagement de l’équipe, n’est certainement pas à revoir. Mais, il m’est apparu clairement que mes tableaux n’étaient là que pour ajouter une « petite touche déco », « jolie », « sympa », à un lieu qui aurait pu paraitre, sans cela, un peu trop austère. C’est mortifiant… Heureusement, la veille, alors que j’accrochais mes toiles, une femme est venue les regarder. Comme je lui demandais ce qu’elle en pensait, elle m’a avoué, dans un souffle, que sa fille était en train de mourir, là, derrière une des portes. Le besoin de lâcher un peu de cette énorme peine l’avait fait sortir dans le couloir et regarder les murs. Elle m’a dit : « Vous savez, parfois, c’est moche la vie, mais vos tableaux font du bien ». Ouf! Si les directeurs et autres grands pontes n’y ont vu rien d’autre qu’un décor, le glacis va tout de même pouvoir faire son silencieux travail… Voilà, j’ouvre avec cet article un peu plus personnel que de coutume, une réflexion à qui voudra y participer. Quelle est la place de l’Art? Quelle place laisse t-on à son expression dans notre Société? L’artiste peut-il se passer d’être pédagogue dans une société qui ne sait plus à quoi il sert? A vous lire…