J’accompagne depuis moins d’un an Vé. qui spontanément peint des décharges de couleurs sur une toile pour y chercher ensuite l’apparition de signifiants fortuits (ce qu’elle appelle de la peinture intuitive) et qui photographie, d’autre part, les cœurs des fleurs (en très gros plan).
Une première demande
Sa demande, en venant dans l’atelier, était de réunir ces deux approches pour élaborer un jeu de cartes en développement personnel.
J’ai dans un premier temps posé avec elle les postulats de la démarche picturale spécifique à mon approche, qui ont été acceptés avec enthousiasme. Sur le principe, la philosophie proposée consiste à marcher sur le fil entre le chaos et le cosmos, entre lâcher-prise (ce qu’elle faisait déjà) et signifiant (ce qu’elle ne parvenait pas à obtenir à grande échelle).
L’idée est de poser un cadre technique et de définir une stratégie pour s’engager, non pas dans un objectif de résultat, mais un cap, une direction de travail.
Nous avons donc commencé à travailler sur ses émotions florales ; couleurs, lumière dans la couleur, textures, superpositions de transparence… pour y répondre avec le glacis huile et, par la suite à mesure que ses mémoires émotionnelles s’affinaient, le glacis bière.
Nous avons trouvé une premier protocole de travail qui a consisté à découper dans une feuille la forme d’une carte de jeu, pour la poser, comme une fenêtre, sur ses laboratoires émotionnels. Mais ce qui dans une premier temps c’est révélé très gratifiant a montré aussi, assez vite, des limites : pas assez de signifiant, trop de « pétales » et pas assez de « cœur ». Pas assez de lumière et de profondeur surtout. Il fallait donc trouver un autre protocole, plus précis mais néanmoins toujours ouvert pour laisser l’indicible s’exprimer.
Un changement de cap
Dans ce jeu de laboratoires successifs, nous en sommes arrivées, il y a moins d’un mois, à travailler sur grand format (150 x 90) à partir d’un fond noir pour mieux conscientiser comment circule la lumière en la posant (poser la lumière plutôt que les ombres). Et, le cap de départ, à la suite de ce travail, a changé : la globalité de la composition, pourtant involontaire, a fait sens et il n’a plus été question d’en découper des morceaux.
Reste que Vé. ne l’avait pas vu.
Lors de la séance du changement de cap, j’ai, avant qu’elle n’arrive, accroché sur le mur de travail son labo verticalement (il avait été peint sur l’horizontal). Nous avons parlé une bonne demi-heure avant qu’elle n’ose me demander ce que c’était que ce « truc » sur le mur : elle n’avait pas reconnu son « bébé ». Nous avons alors regardé dans les quatre accrochages possibles celui qui serait le plus juste et un jardin lui a sauté aux yeux lorsque nous l’avons accroché « à l’envers », à l’horizontal.
Nouvelle stratégie donc, changement de cap et mise de côté (temporaire ?) de l’idée d’un jeu de cartes. Maïeutique pour aller chercher en elle les ressources qu’elle peut mettre au service de ce qu’elle voit, un jardin baigné de lumière. Mais elle ne voyait pas d’autre façon de poursuivre que d’ajouter de la couleur sur la couleur.
Je me suis posée alors la question de savoir s’il fallait que je la laisse faire « comme d’habitude » et « boucher » son travail : perdre la transparence et la lumière. La technique du glacis le permet sans danger puisqu’il y a réversibilité totale du travail engagé pendant 3 heures. Elle pouvait parfaitement « plâtrer » son jardin et revenir, après s’être faite un peu mal, à l’état antérieur. Mais qu’aurait-elle appris qu’elle ne savait déjà ?
Le tableau comme révélateur d’une façon d’être au monde qui ne lui convient plus.
J’ai suggéré alors une autre stratégie à laquelle Vé. n’avait pas songé, un travail sur la sobriété : une seule couleur partout et un travail en négatif avec superpositions de textures par transparence. Et nous avons alors parlé de son besoin de sobriété, de trouver la juste part entre sa boulimie de vie et la conscience d’elle-même…
La séance d’après, elle est venue travailler en sobriété sur son tableau en n’y ajoutant qu’une vélature (couche picturale transparente) verte et en travaillant dedans au chiffon pour faire ré-éclore ses fleurs, choisissant celles qui étaient au service d’un chemin de lumière et laissant dans l’ombre celles qui n’avaient pas à y être. Le tableau était pratiquement fini.
La séance suivante a consisté à revenir sobrement en teinte pour aboutir un peu plus le premier plan et poser quelques éclats de lumières ailleurs.
Et la suite ?
Une fois sa stratégie de peintre conscientisée, elle va pouvoir engager, seule, son travail de peintre et mon accompagnement va pouvoir se faire en distanciel, entre deux tableaux, pour réinterroger sa stratégie et travailler sur d’éventuels blocages.