Daniel Arasse est un historien de l’art enthousiaste qui sait inspirer le goût de voir et revoir la Grande Peinture Occidentale de la Renaissance à l’aube du XIXème siècle. Bien que volontairement spécialiste de l’expression artistique d’une période et d’un continent de la surface du globe, ce qu’il en perçoit et qu’il partage éveille, aide à voir et à comprendre. Aide le peintre aussi peut-être à mieux savoir vers quoi il tend lorsqu’il ose dans la solitude de son atelier, après toutes les œuvres prestigieuses dont nos musées sont les dépositaires, engager son propre processus créatif.
Voir de la peinture
Lorsque j’étais gamine, ma mère nous emmenait au Louvre tous les dimanches matin. C’était gratuit. Elle garait sa voiture devant la cours carrée et nous entrions dans le Louvre comme aujourd’hui on pousse la porte d’un grand magasin. D’année en année, le Louvre m’est ainsi devenu aussi familier que la place d’un village. Le Louvre de mon enfance… J’admirai Le Chevalier Séguier de Lebrun qui gardait l’entrée de la Salle de la Joconde. Laquelle souriait gracieusement (ah! le sourire de la Joconde) aux Noces de Cana de Véronèse. Le couronnement de la vierge de Fra Angelico me ravissait.

Mais il s’est passé des années encore avant qu’une Déposition de croix ou un Martyr de Saint Jérôme ne parviennent à m’émouvoir. Et puis un jour… si les sujets m’ont laissé encore et toujours un peu froide, l’émotion, en revanche, elle, était bien là. A quoi tient-elle?
Être ému
Réponse de Danièle Arasse dans son livre « Histoire de Peinture » :
« Comme le disent les Goncourt à propos d’un tableau de Chardin, à un certain moment « la peinture se lève », et suscite alors une véritable émotion. De quel type est cette émotion, c’est difficile à dire. (…) En ce qui me concerne, car il y a bien sûr pas de règle générale, je dirais que c’est le sentiment que dans cette œuvre là il y a quelque chose qui pense, et qui pense sans mots. »
Alors depuis toute petite, j’attends, sans l’avoir su au début mais avec acharnement maintenant, que la « peinture se lève », qu’elle me « parle sans mot ». Celle des autres d’abord. Et puis, comme une prière, comme un espoir, la mienne. Une vie pour ces instants de grâce…
Partage d’expérience
On me demande souvent comment savoir si un tableau est fini. Ça semble évident à certains et très compliqué à d’autres. Certains ne parviennent jamais tout à fait à être sûrs qu’un tableau est fini. J’en ai vu revenir sur leur ouvrage des années après.
Alors, comme je livrerai une formule magique dont je n’ai pas encore saisi tout le sens mais que j’espère plus pertinente encore pour celui qui l’entendra que pour moi à ce moment là, je réponds : un tableau est fini lorsqu’il se lève.
De mon point de vue ça n’a rien à voir avec la signature. Il m’arrive de signer mes tableaux en cours de réalisation parce qu’elle en équilibre la composition, souvent. En revanche, le signe qui ne trompe pas c’est ce sentiment que le tableau peut parfaitement se passer de ce qu’on serait tenter d’y ajouter pour le finir. Il peut se lever alors que la surface picturale n’est pas complétement recouverte. Il peut se lever alors qu’un geste n’est pas aboutit, un espace juste esquissé.
Une présence qui s’impose parce que, déjà, elle modifie l’environnement dans lequel elle se trouve. Que, déjà, elle en dit plus que le peintre ne pensait y mettre…
Avez-vous déjà vu une peinture se lever? Le partageriez-vous avec moi sur ce blog? A vous lire…